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Traduction et transfert culturel (théorie de Skopos)

 
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Auteur Message
Raskolnikoff
V.I.P
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Inscrit le: 09 Oct 2007
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Localisation: Somewhere in the world

MessagePosté le: 03 Mar 2009 15:30    Sujet du message: Traduction et transfert culturel (théorie de Skopos) Répondre en citant

LE TRANSFERT CULTUREL

Beate Trandem


INTRODUCTION
Le traducteur assure le passage d’une langue à une autre. Il ne lui suffit pas d’avoir des connaissances linguistiques; il doit aussi connaître les sociétés, les cultures, les us et coutumes des deux communautés en question. Il lui faut savoir repérer les allusions et les sous-entendus dans un texte, analyser leur fonction et savoir les rendre dans la langue d’arrivée de façon à ce qu’ils soient compris par le nouveau lecteur qui n’a pas la même connaissance de l’Autre que le traducteur. Il ne s’agit pas ici de règles, mais de choix individuels, choix toujours différents suivant le texte, la situation, les destinataires – et le traducteur. Cette façon d’envisager la traduction trouve sa justification théorique dans la Skopos-teori du traductologue allemand Hans J. Vermeer, qui s’inspire de la théorie de la communication. Le skopos est la finalité d’un texte. Chaque texte a son skopos propre, et le texte original n’a pas nécessairement le même skopos que le texte traduit. Christiane Nord, disciple de Vermeer, écrit:
[…] if the skopos demands a change of function, the required standard will no longer be intertextual coherence with the source text, but adequacy or appropriateness with regard to the skopos. (1991: 24)

Les différentes traductions d’un même texte peuvent donc varier en fonction du skopos que le traducteur est tenu de définir avant de commencer la traduction. La finalité du texte va influencer ses choix lors de la traduction.

Depuis la nuit des temps, les traducteurs ont eu à choisir entre deux méthodes de traduction: documentary vs instrumental translation, pour reprendre les termes de Nord (Johnsen 2000: 43-61). La première méthode met l’accent sur la situation de communication originelle, entre l’auteur et le lecteur dans la langue de départ – la traduction garde un caractère d’étrangeté. La seconde méthode insiste davantage sur la nouvelle situation de communication, entre l’émetteur et les nouveaux destinataires. D’après Nord, c’est moins le type de texte qui régit le choix de méthode que la fonction que doit remplir le texte traduit.
J’ai eu l’occasion de traduire un petit extrait d’un ouvrage sociologique de 280 pages, La logique de l’honneur – Gestion des entreprises et traditions nationales (1993) de Philippe d’Iribarne. Cet ouvrage est destiné aux gestionnaires des entreprises françaises et aux chercheurs et étudiants en sociologie. J’ai voulu en traduire un extrait de manière à ce que mes lecteurs norvégiens, intéressés par la gestion à la française, puissent en tirer un maximum sans avoir lu le livre entier. Lors de mon travail, j’ai été confrontée à un certain nombre de problèmes de transfert culturel. J’ai tenté de les résoudre en appliquant le principe fondamental de l’Ecole de Paris, la théorie interprétative de la traduction, à savoir que le sens global du texte guide le traducteur. Ce sens global correspond à un état de conscience – il est le produit de la synthèse des significations linguistiques et de la connaissance du monde et de la situation de communication que possède le lecteur-traducteur (Lederer 1994: 215). Avant d’aborder les implicites et les allusions, il importe de définir deux autres termes de la théorie interprétative: correspondance et équivalence, qui se situent à deux niveaux différents de la traduction. Alors que les correspondances s’établissent a priori entre des éléments linguistiques, comme dans un dictionnaire bilingue, les équivalences s’établissent a posteriori entre des textes, qui s’insèrent dans une situation de communication bien précise et qui sont perçus comme des produits d’interaction entre le traducteur et la chaîne graphique (voir Seleskovitch & Lederer 1993: 25 et Lederer 1994: 49-83).


L’EXPLICITATION
Un souci constant pour le traducteur est le dosage entre l’explicite et l’implicite dans le texte qu’il traduit. Les locuteurs d’une langue partagent un fonds culturel commun; le traducteur veille à ce que le rapport explicite-implicite permette au nouveau lecteur de ne rien perdre du sens. Dans le cas où les implicites du texte original ont peu de chances d’être saisis par le nouveau lecteur, le traducteur procède à «l’explicitation» (Lederer 1994: 126).
Il appartient donc au traducteur de donner au lecteur étranger des connaissances supplémentaires, minimum mais suffisantes pour entr’ouvrir la porte qui mène à la connaissance de l’autre. (op. cit.: 123)

L’explicitation n’est pas à confondre avec l’explication du texte! Ce sont les implicites culturels que le traducteur est tenu d’expliciter, et non pas les implicites du sens. Florence Herbulot, a souvent exprimé cette même idée, à sa manière, dans son cours sur la théorie de la traduction à l’Ecole Supérieure des Interprètes et Traducteurs de Paris: «Souvenez-vous: le lecteur n’est pas idiot!!». Dans ma propre traduction, aux prises avec les difficultés que me posait le terme «Grandes Ecoles», j’ai longtemps hésité devant ce passage:

(1) De même cela permet de comprendre le rôle si particulier que jouent les Grandes Ecoles et les concours qui permettent d’y accéder dans la société française ... (Philippe d’Iribarne 1993: IX)

Les choix suivants se présentaient à moi:

(1a) conserver le terme «Grandes Ecoles», tout en le mettant entre guillemets ou en italique, présupposant que mon lecteur connaisse suffisamment la France pour qu’une explication ne soit pas nécessaire.

(1b) accompagner le terme d’une brève explication.

(1c) mettre la correspondance en norvégien: «høyskole».

(1d) mettre «høyskole» accompagné d’une note de traducteur en bas de page.

(1e) mettre et «høyskole» et le terme français, le tout accompagné d’une note en bas de page.

Mon choix s’est finalement porté sur cette dernière solution, non sans réticences. Premièrement, j’aurais tendance à considérer la note du traducteur comme un échec. Le rôle du traducteur est de restituer le sens de l’auteur. La mention «NdT» en bas de page fait intervenir la voix propre du traducteur. A mon avis, le fait que le traducteur parle en son nom propre pourrait amener celui-ci à trop expliquer parce qu’il sait que le lecteur aurait la possibilité de distinguer entre ce que dit l’auteur et ce que dit le traducteur. Cependant, je n’ai rien trouvé dans la littérature traductologique pour soutenir cette hypothèse, et je suis peut-être seule au monde à avoir éprouvé cette envie de m’étaler dans les notes du traducteur, ce qui reviendrait à pécher contre la maxime «le lecteur n’est pas idiot»! Deuxièmement, la note du traducteur oblige, comme toute note en bas de page d’ailleurs, le lecteur à s’interrompre et à porter son regard vers le bas de la page, souvent au prix de perdre le fil du raisonnement principal. Malgré ces réticences, j’ai opté pour la note en bas de page:

(1e) Likeledes kaster dette lys over den særegne rollen som høyskolene, «les Grandes Ecoles»,1 og deres opptaksprøver spiller i det franske samfunnet …
________________________________________________________________________

1 Parallelt med universitetssystemet finnes i Frankrike «les Grandes Ecoles», prestisjetunge og elitistiske høyskoler med uhyre vanskelige opptaks¬prøver som det store flertall av toppene i nærings- og samfunnslivet har sin utdannelse fra (oversetterens anmerkning).

Ce choix a été guidé par le souci de ne pas rompre la cohérence du texte. La solution (2b), l’explicitation dans le texte, aurait peut-être été un meilleur choix. Mais il m’a semblé que cette explication devait comporter plusieurs éléments, et qu’il importait de faire comprendre au lecteur que c’est le traducteur qui apporte ces précisions. J’ai souhaité conserver au texte son caractère d’avoir été écrit par un Français à des Français. Je ne crois pas pour autant avoir succombé à la tentation d’en dire trop car je me suis laissé guider à la fois par le sens global de l’ouvrage et par ma connaissance des différences culturelles entre la France et la Norvège en analysant les implicites de «Grandes Ecoles» dans ce contexte.
En Norvège, une høyskole ne jouit pas d’une réputation très différente de celle des universités. Ces écoles sont généralement plus petites, implantées dans les régions et proposent souvent un enseignement moins théorique que les universités. Certaines d’entre elles sont prestigieuses, parce que seules à proposer telle et telle formation, les élèves sont par conséquent sélectionnés sur dossier, comme par exemple à l’Université des Sciences et Techniques de Norvège, à l’Ecole Nationale des Hautes Etudes Commerciales de Norvège ou à l’Ecole Vétérinaire d’Oslo.
Il en va tout autrement des Grandes Ecoles françaises. D’abord, je pense que tout Français serait d’accord pour dire qu’elles sont plus prestigieuses que les universités dans lesquelles, à quelques exceptions près, est admise toute personne ayant le bac. C’est pour cette raison que j’ai choisi d’écrire «prestisje¬tunge». Ensuite, le b-a-ba de la sociologie française étant La noblesse d’Etat. Grandes Ecoles et esprit de corps de Pierre Bourdieu, aucun sociologue ne peut penser «Grande Ecole» sans penser «élitisme», ce qui m’a donné «elitistiske» en norvégien. J’aurais pu m’arrêter là. Mais il faut aussi prendre en considération le contexte verbal (l’entourage linguistique de l’unité lexicale) et le contexte cognitif (le savoir qu’accumule le lecteur au cours de la lecture d’un texte). Pour ce qui est du premier, l’auteur est en train d’expliquer pourquoi un diplômé d’une Grande Ecole possède la légitimité nécessaire pour être admis comme chef par les subordonnés français. Il fait allusion à une hypothèse formulée dans ce qui précède la conclusion que j’ai traduite, à savoir la ressemblance entre les épreuves auxquelles les chevaliers du Moyen-Âge étaient soumis pour prouver leur courage et leur noblesse, et les concours d’entrée aux Grandes Ecoles de nos jours. Mon lecteur n’étant pas supposé avoir lu tout l’ouvrage; cette ressemblance est un complément cognitif qui manque à mon lecteur, alors qu’il est présent dans mon propre contexte cognitif. J’ai essayé, tant bien que mal, de pallier à cette lacune en insistant sur la difficulté de réussir les concours d’entrée: «uhyre vanskelige opptaks¬prøver». En même temps, l’auteur fait dans son argumentation implicitement référence au grand nombre d’anciens élèves de Grandes Ecoles employés comme dirigeants dans l’industrie, fait supposé connu par les lecteurs français. J’ai donc trouvé pertinent, et même nécessaire, de rajouter le passage concernant «toppene i nærings- og samfunnlivet».
Cependant, dans une autre traduction avec un skopos différent, le terme «Grande Ecole» pourrait être traduit autrement. Je vais citer en exemple la traduction de l’essai Moi, ta mère, de Christine Collange. Dans cet ouvrage, une mère fait le procès de la jeunesse ingrate – elle a élevé quatre fils mais elle ne trouve pas qu’ils lui rendent l’amour et l’énergie qu’elle a déployés à leur égard. Elle ne croit plus en la vérité générale selon laquelle c’est la faute des parents quand les enfants tournent mal, comme c’est leur mérite quand les jeunes se comportent bien:

(2) Comme j'envie les parents gonflés d'orgueil qui plastronnent parce que leur fille épouse un jeune homme bien sous tous les rapports ou que leur fils vient d'être reçu à tel concours des Grandes Ecoles – «comme son grand-père et son père, dans notre famille tous les aînés sont X / Ponts»! (Collange 1985: 41)

La traduction:

(2a) Som jeg misunner foreldre som er oppblåst av stolthet, som brisker seg fordi datteren deres gifter seg med en mann som er bra på alle måter, eller hvis sønner nettopp er blitt opptatt ved de fineste skoler - «som sin far og sin bestefar, i vår familie har alle de eldste tatt eksamen ved x-skole»! (Collange: 1986: 30)

«Grandes Ecoles» est traduit par «de fineste skoler». En effet, pour com-prendre l’indignation ironique de cette mère déçue, le lecteur n’a nul besoin de connaître la spécificité d’une Grande Ecole française. Le traducteur a traduit ce terme en fonction de la finalité de sa traduction. Il n’a pas trouvé nécessaire de traduire «Ponts», ce qui lui évite bien des difficultés au niveau du transfert culturel.


LES ALLUSIONS LITTÉRAIRES
La notion de «culture générale» joue probablement un plus grand rôle dans la formation des futurs gestionnaires français que celle de «allmennkunnskaper» dans celle des gestionnaires norvégiens. Si l’on veut réussir en France par la voie classique des Grandes Ecoles, il faut posséder une bonne culture générale, qui sera sanctionnée par les célèbres concours d’entrée. Cette culture se manifeste, entre autres, par des connaissances encyclopédiques dont font partie les références littéraires. C’est-à-dire que ceux qui sortent de l’ESSEC ou de la HEC sont censés savoir La Fontaine par cœur et avoir vu les pièces de Molière sur scène. Cela explique pourquoi Philippe d’Iribarne peut faire des pastiches littéraires d’une comédie moliéresque non explicitement nommée ou des allusions à la mythologie grecque sans craindre de rebuter son public. En Norvège, par contre, personne ne soupçonnerait les diplômés de nos hautes écoles commerciales de constituer un groupe particulièrement au fait des œuvres de Holberg ou d’Ibsen. Je pose que la littérature française est moins connue par les Norvégiens en général que par les Français, d’une part, et que le public norvégien qui serait intéressé par un livre sur les méthodes de gestion, n’est pas nécessairement très porté sur la littérature, d’autre part. Il s’ensuit que la version traduite, destinée à des lecteurs norvégiens, sera plus explicite que l’original.
C’est pour cette raison, disons de différences au niveau de la culture générale, que j’ai choisi d’expliciter l’allusion que fait l’auteur à la mythologie grecque:

(3) Pris entre ces impératifs que personne n’est jamais vraiment arrivé à parfaitement concilier, les gestionnaires naviguent entre Cha¬rybde et Scylla. Et les entreprises ne trouvent jamais leur équilibre une fois pour toutes, les corrections faites aujourd’hui aux dérives d’hier étant toujours lourdes des dérives de demain. (Philippe d’Iribarne 1993: 256)

Ma traduction:

(3a) I klemme mellom disse krav som ingen noensinne egentlig har klart fullstendig å forene, manøvrerer bedriftslederne slik Odyssevs seilte mellom havuhyret Skylla og dragsuget fra klippen Kharybdis. Og bedriftene finner aldri en varig likevekt: kurs¬endringene som gjøres i dag for å rette på avvikene fra i går, bærer alltid i seg morgendagens avvik.

D’après Le petit Robert (s.v. «tomber»), la locution «tomber de Charybde en Scylla» signifie «échapper à un inconvénient, à un danger, pour tomber dans un autre plus grave». Cette signification rappelle celle que donne Bokmålsordboken de la locution norvégienne «komme fra asken til ilden»: «komme fra en ubehagelig situasjon til en enda verre». Il est important de noter que l’auteur ne s’est pas servi de la locution courante en français, «tomber de Charybde en Scylla», mais d’une variante: «naviguer entre Charybde et Scylla». Philippe d’Iribarne insiste ici sur la nécessité d’encourager à la fois les initiatives individuelles et la coopération dans une entreprise. Cette activité a un aspect d’équilibration qui pourrait être rendu par la locution «gå på line» en norvégien. Cependant, la dimension allégorique du texte, où l’entreprise est vue comme un bateau, puisque dans la phrase suivante il est question de «dérive», «corrections» et «équilibre», serait alors perdue.
J’ai posé que les Norvégiens étaient moins familiers à la littérature grecque: la locution «tomber de Charybde en Scylla» n’est pas entrée dans la langue norvégienne. Songez aussi à ce que les Français disent «c’est du chinois!», mais que les Norvégiens disent «dette er gresk for meg!» ... Toutefois, le nom propre «Odyssevs» devrait être connu par une majorité de Norvégiens et en insérant celui-ci dans le texte norvégien, l’allusion au voyage plein d’incidents d’Ulysse devient plus évidente. J’aurais donc pu me contenter de cette explicitation par rapport au texte original. Si j’ai choisi de renforcer l’explication, c’est parce qu’il me semble que le sens figuré de la phrase devient plus immédiatement clair aux lecteurs norvégiens quand il est précisé dans la version norvégienne que Scylla est un monstre et que Charybde est un rocher qui produit des courants dangereux. En outre, le caractère risqué de l’entreprise d’Ulysse se trouve souligné par le choix du verbe «manøvrere» («manœuvrer») plutôt que «navigere» qui serait le terme correspondant en norvégien de «naviguer». Ces rajouts ont peut-être alourdi le texte, mais il m’a semblé impératif de m’assurer de la compréhension du sens de la part du lecteur tout en reproduisant l’image de l’original et en évitant le ressort ultime du traducteur: la note en bas de page.
Le pastiche est un autre exercice auquel se livre Philippe d’Iribarne:

(4) Et la notion d’aliénation est alors bien commode pour construire des discours qui n’ont rien à envier sans doute à ceux des médecins de Molière. Attachement à l’entreprise: aliénation; respect pour les chefs: aliénation; dévouement à la production: aliénation, vous dis-je; désir d’être honoré: aliénation; esprit de service: aliénation, que diable! … (Philippe d’Iribarne 1993: 260)

Comme les médecins étaient l’une des cibles préférées de Molière, j’ai dû parcourir plusieurs de ses pièces avant de trouver la scène qui a dû servir de modèle pour Philippe d’Iribarne: acte III, scène X dans Le malade imaginaire. Quel que soit le symptôme qu’Argan lui présente, Toinette répond inlassable¬ment: «le poulmon» et, une dernière fois: «le poulmon, le poulmon, vous dis-je.» En revanche, il n’y a pas de «que diable» dans la scène, mais cette expression est bien courante ailleurs dans l’œuvre de Molière. Afin de traduire cette séquence en harmonie avec ce que les Norvégiens pourraient connaître de cette scène, je me suis reportée à la traduction d’André Bjerke Den innbildt syke (1961: 99-100) où le passage est rendu par «lungen», «lungen! lungen, forsikrer jeg Dem!». Traduire ce pastiche par correspondances ne pose pas vraiment de problèmes de saisie de sens, même à des lecteurs norvégiens ne connaissant pas Molière et son mépris pour les médecins, car le comique du passage se donne tout seul et l’on comprend qu’il doit faire allusion à des personnages obstinés et peu lucides:

(4a) Og betegnelsen fremmedgjøring er da svært anvendelig for å bryg¬ge sammen monologer som aldeles ikke står tilbake for dem Molière får sine leger til å fremføre. Tilknytning til bedriften: fremmedgjøring, respekt for sjefene: fremmedgjøring, innsats for produksjonen: fremmedgjøring, forsikrer jeg Dem, ønske om beæring: fremmedgjøring, sans for service: fremmedgjøring, for fanden! ...

Si l’auteur nomme explicitement Molière en imitant ses médecins, il n’a pas besoin d’en faire autant dans le passage suivant:

(5) Sans doute tout Français revêtu de quelque pouvoir pratique un style français d’autorité à la manière dont Monsieur Jourdain faisait de la prose. (Philippe d’Iribarne 1993: 97)

«Faire de la prose sans le savoir» est une locution courante en français et désigne le fait de «faire naturellement une chose dont on ignore le nom, sans en avoir l’intention» (Le petit Robert, s.v. «prose»). La locution puise son origine dans une réplique naïve de Monsieur Jourdain dans la pièce moliéresque Le Bourgeois Gentilhomme. C’est pourquoi j’ai rajouté le nom de Molière et que j’ai précisé en norvégien «uten selv å være klar over det», ce qui est un rajout par rapport au texte original:
(5a) På samme måte som Molières herr Jourdain talte i prosa uten selv å være klar over det, praktiserer utvilsomt alle franskmenn som bekler en lederstilling, en fransk autoritetsstil.

De cette manière, j’ai pu garder l’allusion dans le texte original tout en l’expli¬citant afin de rendre le parallélisme évident même pour ceux qui ne connais¬sent pas le personnage de Monsieur Jourdain. Celui-ci n’est pas suffisamment connu par les Norvégiens, même les traducteurs le connaissent mal, ce que prouvent les passages suivants, tirés du même ouvrage de Collange que j’ai cité plus haut:

(6) Pauvre Louis, il serait bien étonné si je lui disais qu'il fait du féminisme sans le savoir, comme Monsieur Jourdain faisait de la prose! (Collange 1985: 81)

La traduction:

(6a) Stakkars Louis, han ville bli temmelig forbauset om jeg sa til ham at han er feminist uten å vite om det, som Monsieur Jourdain gjorde det i Mollières (sic) prosa! (Collange 1986: 55)


CONCLUSION
Nous avons vu que de multiples facteurs entrent en jeu dans le transfert du sens d’une culture à l’autre. Le plus souvent, le destinataire du texte traduit n’a pas les connaissances nécessaires pour comprendre les implicites du texte. C’est pourquoi le traducteur procède à l’explicitation dans la langue d’arrivée de certaines allusions ou notions relatives à la culture commune aux locuteurs de la langue de départ. Le traducteur est alors plus proche de la méthode «instrumentale» dont parle Nord que de la méthode «documentaire». Cepen¬dant, il n’existe pas de règles absolues quant à la manière de procéder, ce qui implique aussi que les choix faits par un traducteur seront contestés par un autre qui verra son public autrement. C’est la finalité – skopos – du texte traduit qui infléchit les choix du traducteur.


BIBLIOGRAPHIE
Bokmålsordboka sur la Toile, http://www.dokpro.uio.no/ordboksoek.html.
Collange, C. 1985. Moi, ta mère. Fayard, Paris.
Collange, C. 1986. Jeg, din mor. Traduit par Sigmun S. Kostøl. A/S Hjemmet – Fagpresseforlaget, Oslo.
Iribarne, P. d’. 1993. La logique de l’honneur. Gestion des entreprises et traditions nationales. Seuil, Paris.
Johnsen, Å. 2000. «Oversettelse som «stupid mord». Tekstfunksjon og over¬set¬telsesmetoder. En sammenligning av den engelske og den spanske over¬set¬telsen av Sofies verden», in Tribune n° 11, Bergen, pp. 43-61.
Lederer, M. 1994. La traduction aujourd’hui – le modèle interprétatif. Hachette, Paris.
Molière, J.B. 1961. Den innbildt syke. Traduit par André Bjerke. Aschehoug, Oslo.
Nouveau Petit Robert (Le) 1993. Paris.
Nord, C. 1991. Text Analysis in Translation. Traduit de l’allemand par Christiane Nord et Penelope Sparrow. Rodopi, Amsterdam.
Seleskovitch, S. & Lederer, M. 1993. Interpréter pour traduire. Didier Eru-dition, Paris.
Trandem, B. 2000. L’Ecole de Paris. Un cas d’espèce: analyse d’une démarche cognitive de la traduction fondée sur la théorie interprétative. Mémoire de fransk hovedfag. Université d’Oslo.

Et un commentaire d’autres auteurs sur Skopos-theory :
par Nadja Grbić et Michaela Wolf

Hans J. Vermeer (1996). A skopos Theory of Translation (Some
Arguments for and against). Heidelberg, TEXTconTEXT (Band 1)
Dans son étude, Vermeer suit d'abord le modèle théorique classique :
énoncé de la terminologie, puis thèse-antithèse. Après l'explication de
notions clés, est présentée la terminologie spécifique du skopos, qui se
réalise dans l'acte de la traduction. S'appuyant sur ces instruments
terminologiques et méthodologiques, la théorie du skopos est exposée
dans le détail.
Dans le chapitre suivant, Vermeer aborde les thèses centrales
de la théorie du skopos tout en mettant l'accent sur la portée générale
de cette théorie. Dans la partie de synthèse, il réunit les objections les
plus importantes contre la théorie du skopos. Dans la discussion
concernant le rôle du texte source au sein du processus de traduction,

Vermeer répond longuement à la théorie selon laquelle le skopos ne
serait pas applicable à la traduction littéraire, puisque le texte source en
tant que partie de la culture source devrait être traduit dans le sens de
celle-ci, donc d'une façon « fidèle » (p. 37). Son argument principal
contre une telle réduction est le suivant : aucun texte ne possède une
signification stable et toute méthode est individuelle. Par conséquent, il
s'inscrit dans la méthodologie postmoderne de la théorie de la
traduction. Ensuite, Vermeer discute les relations entre la théorie du
skopos et les autres conceptualisations courantes de la traductologie,
comme la Relevance Theory selon Sperber et Wilson (1986) et Gutt
(1991, pp. 51-68; réédité et étendu en 2000 chez St. Jerome
Publishing). Il les applique au principe de l'agir traductologique conçu
par Holz-Mänttäri et à la théorie du skopos à laquelle il ajoute une
nouvelle dimension. (Il est regrettable que, pour des raisons d'ordre
editorial, la Descriptive Translation Studies de Toury (1995) ne soit
mentionnée que dans une note à la fin du texte.) Quant au principe de
loyauté de Nord, Vermeer critique cette approche spécifiquement
orientée vers la culture, qui doit être, selon lui, strictement séparée
d'une théorie générale de la traduction. En fait, pour Vermeer, la
culture n'a qu'un rôle secondaire. Selon lui, une théorie générale de la
traduction doit être libre « from any (culture) specific conditions » (p.
22). Il semble oublier que la théorie ne peut exister sans la culture, car
sa terminologie et sa méthodologie relèvent forcément d'une tradition,
qui est, elle-même, intégrée dans la culture. L'abence remarquée de
cette théorie du skopos dans le milieu anglophone peut être expliquée
par le fait que, sauf exception, les publications de Vermeer n'existent
qu'en langue allemande. Espérons que ce volume contribuera à
combler ce manque.
_________________
Родион Романович Раскольников
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